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La surveillance par caméras

Quelle est la position des Cours et Tribunaux ?

Plusieurs travailleurs, licenciés en raison d’une faute grave découverte par leur employeur respectif grâce à des images prises par des caméras placées à leur insu, ont contesté la validité de leur licenciement devant les cours et tribunaux et ont obtenu gain de cause.

Dernière mise à jour le 24 janvier 2024

En effet, les juges ont toujours estimé que le non-respect de la procédure prévue par la CCT n° 68 conduisait à la nullité des preuves, avec pour conséquence que le motif grave ne pouvait pas être établi et que le licenciement était donc irrégulier.

Plusieurs arrêts importants ont toutefois été  rendus en la matière.

Cour de Cassation, arrêt du 2 mars 2005

Ayant constaté à plusieurs reprises un déficit de caisse dans son magasin, un employeur avait installé une caméra de surveillance orientée vers la caisse enregistreuse. Les images filmées par la caméra lui permirent d’enregistrer des vols dans la caisse et de licencier la travailleuse auteur de ces vols.

La travailleuse licenciée porta l’affaire devant le tribunal, au motif qu’un employeur qui souhaite placer des caméras de surveillance dans son entreprise est tenu de respecter les dispositions de la CCT n° 68[1]. Concrètement, cela signifie qu’il doit notamment informer les travailleurs sur la présence de ces caméras placées en vue de la surveillance.

L’employeur en question n’avait pas respecté cette obligation d’information. La travailleuse opposa au tribunal que l’employeur ne pouvait pas utiliser ces images, car ceci était contraire au respect de la législation sur la protection de la vie privée.

Dans cette affaire, la Cour de Cassation a estimé que le fait que la preuve ait été obtenue irrégulièrement n’a pas automatiquement pour conséquence que ce matériel ne puisse plus être utilisé. C’est le cas uniquement :

  • Lorsque la loi prévoit que la preuve obtenue irrégulièrement est nulle ou doit être écartée 
  • Lorsque l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve 
  • Lorsque l’utilisation de la preuve est contraire au droit à un procès équitable.

En dehors de ces trois cas, il appartient au juge d’apprécier, compte tenu des circonstances de l’affaire, si l’utilisation de la preuve dans le procès constitue une infraction à la législation sur la protection de la vie privée.

Dans cette affaire, le juge considéra que les images filmées par la caméra pouvaient être utilisées parce que la caméra était uniquement dirigée sur la caisse enregistreuse du magasin, donc dans un lieu accessible au public, et visait seulement la caisse et non les travailleurs eux-mêmes.

Le juge en déduit qu’aucune infraction n’avait été commise aux dispositions de la CCT n° 68. L’obligation d’informer le travailleur lors de la mise en œuvre de la surveillance par caméras ne s’applique que s’il apparaît que cette surveillance peut avoir des implications sur la vie privée du travailleur, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

En outre, le droit à la protection de la vie privée n’a pas été créé pour dissimuler des infractions. En l’espèce, l’employeur soupçonnait sérieusement le vol et utilisa la caméra pour en réunir les preuves avant de faire une déposition.

Sur la base de cet arrêt de la Cour de Cassation, nous pouvons conclure que dans certains cas, des images obtenues irrégulièrement peuvent également être utilisées comme moyens de preuve devant un juge.

Cet arrêt ne peut toutefois donner toute latitude pour placer des caméras partout dans l’entreprise, sans tenir compte de la législation applicable. Si l’installation des caméras constitue une infraction au respect de la vie privée des travailleurs, le juge considérera toujours que les images prises illicitement doivent être écartées du procès.

Par ailleurs, en dépit de cet arrêt de la Cour de Cassation, les juges ne prennent pas toujours en considération les images obtenues en violation de la procédure prévue par la CCT n° 68 et n’acceptent, par conséquent, pas toujours le motif grave[2]. Il s’ensuit évidemment que l’employeur est redevable d’une indemnité de rupture, faute de pouvoir prouver la faute grave commise par le travailleur.

La prudence reste donc de mise. La Cour européenne des droits de l’homme va cependant dans le même sens que la Cour de Cassation dans un arrêt plus récent.

CEDH, arrêt du 17 octobre 2019, affaire Lopez Ribalda et autres c./ Espagne

La Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la mise sous vidéosurveillance de travailleuses à leur insu n’entraine pas automatiquement de violation de la Convention européenne des droits de l’homme, les autorités nationales pouvant mettre en balance le droit au respect de la vie privée et l’intérêt pour l’employeur d’assurer la protection de ses biens et le bon fonctionnement de l’entreprise.

Cette mise sous surveillance doit néanmoins être légitime et proportionnée.

Les faits se sont déroulés en Espagne. Un employeur, directeur de grande surface, a procédé à l’installation de caméras de vidéosurveillance visibles et cachées suite au constat, durant plus de 5 mois, de pertes et de disparités entre les stocks du magasin et les ventes.

Le directeur du magasin a constaté des vols suite au visionnage des enregistrements. Les images ont établi que certaines travailleuses ont participé à des vols de marchandises dans le magasins. Elles ont été licenciées pour motif disciplinaire et la lettre de rupture faisait expressément référence aux images des caméras de vidéosurveillance.

Une partie des travailleuses licenciées ont saisi le tribunal du travail pour licenciement abusif estimant que le recours à la vidéosurveillance cachée constituait une violation de leur droit à la vie privée et que les enregistrements ne pouvaient être versés au dossier.

Le Tribunal du travail espagnol a conclu qu’il n’y avait pas d’atteinte au droit au respect de la vie privée, que les enregistrements sont des preuves valables et que les licenciements sont réguliers et ce, au regard des principes établis par la Cour constitutionnelle espagnole relatifs à l’impératif de proportionnalité en ce qui concerne l’usage de la vidéosurveillance sur le lieu de travail.

Les travailleuses, mécontentes du jugement rendu, sont allées en appel, où le premier jugement a été confirmé, parce que la surveillance était conforme aux critères dégagés par la Cour constitutionnelle. L’ingérence dans la vie privée des travailleuses était en effet justifiée par les soupçons d’irrégularité, proportionnelle au but poursuivi et nécessaire.

Les travailleuses ont alors saisi la CEDH au motif de la violation du respect de leur vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les travailleuses estimaient qu’en autorisant le recours à une vidéosurveillance dissimulée et la production des images devant les juridictions pour justifier les licenciements, les juridictions internes avaient manqué à leur obligation d’assurer une protection effective des droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention.

La CEDH a conclu à la violation du droit à la vie privée (article 8), mais pas à la violation de l’article 6§1 de la Convention. Le gouvernement espagnol a sollicité le renvoi devant la Grande Chambre.

La Cour a estimé, d’une part, que le degré d’intrusion dans la vie privée des travailleuses n’était pas élevé et, d’autre part, que les raisons qui ont motivé la mise ne place de la vidéosurveillance étaient légitimes.

La Cour a précisé que le moindre soupçon d’irrégularité ne peut d’office justifier la mise en place d’une vidéosurveillance secrète par l’employeur, mais que des soupçons raisonnables d’irrégularités graves comme le vol, peuvent constituer des justifications sérieuses.

Cour du travail de Mons, arrêt du 26 mai 2020

La Cour du Travail de Mons a décidé, dans un arrêt du 26 mai 2020, qu’un employeur pouvait s’appuyer sur les images d’une caméra de surveillance qu’il n’avait pas lui-même installée et dont il n’était pas propriétaire pour démontrer que son travailleur avait commis un vol.

Il s’agissait d’une affaire de licenciement pour motif grave d’un travailleur ayant commis un vol. Les faits avaient été filmés par une caméra de surveillance que l’employeur n’avait pas lui-même installée et dont il n’était pas propriétaire.

En effet, le travailleur en question était amené à effectuer des tâches en lien avec les différentes manifestations de Charleroi Expo. Une vidéo a montré qu’il était entré dans un stand et permettait de suspecter qu’il y avait volé des articles.

La question qui s’est posée à la Cour – et au Tribunal du travail du Hainaut avant elle - était de savoir si ces images pouvaient être utilisées pour prouver la faute grave, sachant qu’elles avaient été recueillies illégalement, sans qu’il y ait une atteinte à la vie privée du travailleur. Celui-ci avait été débouté en première instance.

Dans cette affaire, s’agissant d’une caméra d’un tiers, il a fallu examiner le respect des règles de protection de la vie privée de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour du Travail de Mons s’est par ailleurs référée à la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle et de la Cour de Cassation pour rappeler que, dans certaines circonstances, une preuve obtenue illégalement pouvait être utilisée. Le juge doit se pencher sur le contexte dans lequel la violation a été commise, son objet et son incidence sur le droit à un procès équitable.

En l’espèce, la Cour a considéré qu’il ne fallait pas écarter les images vidéo :

  • Le travailleur n’a pas développé pourquoi la preuve aurait été obtenue illégalement 
  • C’était la seule preuve dont disposait l’employeur 
  • Même si le travailleur n’a pas été entendu avant d’être licencié, ce qui n’était pas obligatoire mais aurait été opportun vu les circonstances, il ne conteste pas avoir eu la possibilité de visionner les images le concernant.

 

[1] Convention collective de travail n° 68 du 16 juin 1998 conclue au sein du Conseil National du Travail.

[2] Cour du travail de Bruxelles, arrêts du 15 juin 2006 et 7 février 2013, et Cour du travail de Liège, arrêt du 6 mars 2007. Dans son arrêt du 7 février 2013, la Cour du travail de Bruxelles a jugé que le raisonnement de la Cour de Cassation ne pouvait être utilisé en droit du travail.

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